lundi 24 décembre 2007

AMARYLLIS

Pour la Noël, je vous présente un conte écrit par Léo Lévesque, un homme qui a passé plusieurs années de sa vie en prison. La lecture de son texte et les effets « joualisant » de son écriture vous feront saisir plus justement l’ambiance de son histoire.
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Le texte, intitulé Amaryllis, fut récité en 1995 par Robin Aubert sur les planches de la Licorne, dans le cadre des Contes Urbains. Âmes sensibles s’abstenir. Ça va comme suit :
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AMARYLLIS de Léo Lévesque
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Moé, j ‘voudrais vous parler d’un p’tit cul d’mon boutt qu’y est allé au pen pour une histoire de hash.
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Y s’appelait Bob, pis y a grimpé là-bas avec deux ans à faire.
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C’est vrai que quand y l’ont arrêté, y a sauté sur un bœuf. Mais tabarnack . . . Quand à quatorze ans y en a colissé une bonne dins dents à son père : « Tu toucheras pu jamais à ma mère toé ! », ça y avait fait un choc au bonhomme. Mais l’vieux s’était pas mis à l’cogner à tour de bras comme les bœufs l’ont faite, en plus de l’faire monter au pen, pareil à un dangereux qu’y faut faire râler.
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En tout cas, quand y est sorti d’là-bas, y m’a raconté c’qui faisait, qu’y avait pu d’rêves dans tête. Que d’fumer un joint, c’tait pu rien pour lui. Qu’astheure, y avait besoin d’une aiguille dans l’bras pour s’réchauffer.
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Là-bas, y avait faite son temps à haute voltige. Dans l’gros rush d’l’adrénaline : quecqu’chose qui s’coue assez fort, qu’les cellules du cerveau viennent s’tapocher dans l’front du crâne, comme des bons coups d’marteau.
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Quand l’p’tit Bob est entré au pen, y avait rien qu’dix-huit ans. Pis y connaissait pas un criss de chat dans c’te grande arène de combat. Y a vite senti qu’y fallait qu’y fasse de quoi, c’tait pas le temps d’essayer de s’cacher. Pis, de toute manière, c’tait pas l’genre à s’pousser : y était peut-être pas grand, ni gros, mais y était fier.
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Ç’a faite que Bob, déniaisé comme y était, y a approché un gars : un ancien champion qui déplaçait encore ben d’l’air. L’boxeur a r’gardé Bob dins yeux. Y a eu un silence qui r’semblait à l’épaisseur des murs : c’tait toute la protection du p’tit Bob qui s’trouvait dans c’te réponse là.
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Mais Bob s’t’aperçu que même si y s’déchaînait avec un poids lourd, ça empêchait pas d’faire rêver les loups. L’champion voulait ben y donner un coup de main, mais d’là à livrer des combats avec la meute.
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Ç’a faite qu’ç’a pas pris d’temps pour qu’un gars qui s’faisait appeler Tarzan le spotte. C’te gars-là, y avait passé ben des années au pen. Pis lui son trip, c’tait d’pogner des p’tits jeunes.
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Y était rare l’prisonnier qui aurait voulu l’affronter. Même les plus durs osaient pas trop d’essayer de l’tasser parce qu’en plus, y avait sa traînée qui s’accrochait après sa grosse queue d’rat. Pis parce qu’y avait arraché avec son doigt, devant tout l’monde, à ciel ouvert, l’œil d’un screw. Pis qu’y avait eu sept coups d’strappe sans chiâler ni brailler, y s‘était cru l’roi du pen.
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Quand Tarzan a passé à strappe, y d’vait y avoir une cinquantaine de screws avec le directeur pis sa p’tite gang. On y avait couvert la tête avec une cagoule noire pour pas qu’y voye qui allait l’frapper. Pis on y avait attacher les bras d’chaque côté du ch’valet. .De même, plié en deux, y avait les fesses ben r’levées. Un docteur faisait partie d’la gang aussi : au cas où Tarzan perdrait connaissance. Mais tout au long d’la cérémonie, y est resté ben réveillé, y a même pas chigné.
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Ç’a frosté tout l’monde : on avait jamais vu ça. L’directeur l’a fait envoyer au trou, au pain pis à l’eau, pendant un mois. Pis y a été isolé un gros deux ans, à 23 heures de cellule par jour. Malgré tout ça, quand y est r’venu, y continuait à vouloir son territoire. Y s’était décroché une job sur les sports : comme ça, y pouvait s’déplacer n’importe où dans prison. Pis les screws en avaient assez peur qu’y s’fermaient les yeux ben tight.
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Après toutt, y faisait juste scrapper la vie de p’tis côlisses de pas bon.
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En tout cas, ç’a pas pris une traînerie pour que Tarzan surgisse devant la cellule du p’tit Bob. Y l’a pogné par la gorge pis y l’a obligé à s’mettre à genoux,. Y a faite vivre tous les cauchemars l’gros tabarnack de bâtard. Y a enfoncé sa graine molle dans la bouche, l’p’tit Bob écumait comme si l’coeur allait y sortir.
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Pis Tarzan l’a r’levé par les ch’veux pour y maudire des bonnes claques su la yeule. Pis y a effouerré la face dins barreaux. Bandé comme l’acier, y s’est enfoncé. Le p ‘tit Bob r’tenait, tout en grimaces, coincées dans sa gorge, les brûlures qu’y entendait hurler dans son corps. Pareil à une femme qui s’fait violer, l’sang dégoulinait entre ses jambes comme s’y l’avait ouvert avec une lame de rasoir.
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Quand le p’tit Bob est sorti du pen, y essayait d’cacher sa misère en s’envoyant toujours en l’air. Mais je l’voyais qu’le ciel y faisait mal pis qu’y avait un mauvais sel qui y ravageait l’fond des yeux.
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L’monde avait jamais été p’tit pour Bob, mais là, quand y a su qu’le gros chien avait été libéré pis qu’y vendait d’la poudre à brasserie du coin … Y est allé drette le voir, pis l’gros l’a fronté.
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Le p’tit Bob y avait faite accroire qu’le jour de Noel y f’rait une grosse passe, pis qui y donnerait un cadeau. Tarzan y a donné tout c’qui avait d’besoin : y aurait jamais pu s’imaginer d’pas être payé. Y pensait qu’le p’tit Bob c’tait encore le s’rin, à genoux d’peur, la bouche ouverte avec les yeux fermés.
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Le p’tit Bob, lui, y savait bien qu’y était pas un tueur. Mais c’te fois-là, y allait faire un effort. Comme de faite, l’gros Tarzan a mordu à l’hameçon. Le jour de Noel y s’est présenté su l’ptit Bob. Quand ç’a sonné, Bob s’est mis à trembler, pis y est allé r’garder dans l’judas.
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Y a aperçu la fraise aussi grosse que la première fois qu’y l’a obligé à l’sucer. Le p’tit Bob s’est r’culé, y a pris son douze à gros plomb d’canon.
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Y a r’tourné voir dans l’judas, l’gros était toujours là. Bob a crinqué son douze, y a r’culé d’trois pas pis y te l’a clanché. Bob a pas pris d’chance, y a glissé une autre balle dans l’canon pis en s’approchant du trou qu’y v’nait d’faire, y a aperçu, dans neige rouge, Tarzan qui s’vidait : y v’nait d’y faire partir la tête.
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Au procès, toute l’histoire a sorti. Mais mon p’tit chum a quand même été envoyé au pen pour la vie. C’est rien qu’huit ans plus tard qu’y en est sorti. Parce qu’avant d’entrer y avait attrapé l’sida. Pis là, à cause qu’y s’mourait, sa mère a réussi à l’faire transférer dans une maison d’not’ boutt qui s’appelle AMARYLLIS.
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C’est l’nom d’une fleur chinoise qui veut dire « enfant abandonné ».
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Quand j’l’ai vu avec ses grands yeux d’lunes rouges encore aussi brillants qu’un lac dans un éclaircie, pîs qu’y m’a pété un sourire en m’pognant à plein bras … Y m’a faite écouter du Éric Clapton pis on s’est aimés comme des fous d’chums qui r’fusent de brailler.
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J’ai su qu’y était parti tranquille dans nuite en dormant.
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Le p’tit Bob est parti mais j’ai voulu faire vivre son histoire, parce que même si c’t’une histoire triste, a reste ben vivante.

3 commentaires:

  1. Nous avons TOUS une histoire à raconter... c'est bien de le rappeler, car trop souvent nous oublions que nous sommes simplement humains!
    la tit'Kriss

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  2. Je savais que cette histoire te toucherait, ma p'tite ...

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  3. Elle me touche aussi, j'en profite ici pour souhaiter un Joyeux Noel a tout les membres de ce Blog et a plus...

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