dimanche 2 août 2009

Le massacre

Vendredi, dans l’antre de la rue Jarry, la discussion tournait autour des « indiens » qu’on peut rencontrer à l’occasion dans les villages éloignés de la Côte Nord, du Lac Saint-Jean ou de l’Abitibi. Des histoires diverses dans les bars ou les camps de chasse. M’est alors revenue cette anecdote qui s’est déroulée ici même à Montréal dans les environs de 1973.

Je suis étudiant à l’université de Montréal. Pour défrayer les coûts du logement, je cohabite avec mon ami Pierre et la belle Janie Pachanos, son amie de cœur, une superbe Crie qu’il vient tout juste de ramener de Fort-George à la Baie James.

Mettons qu’à 20 ans, quand t’es une fille Crie, que tu viens de Fort-George et que t’arrives à Montréal, ça peut être assez impressionnant. Comme un pas de géant à franchir. Janie Pachanos parlait cri et anglais et ne sortait que très rarement de la maison. L’univers, elle le connaissait surtout via la télé qu’elle dévorait avidement quand nous ne regardions pas les postes français.

C’était en après-midi je crois. Pierre était absent et j’arrive au salon où Janie, évidemment, regardait sa télé avec un bol de croustilles. À une chaîne anglaise, évidemment, c’était un film western en noir et blanc.

Assez rapidement, comme dans tout bon western de l’époque, des indiens arrivent dans le film et je vois que Janie est très très concentrée sur l’histoire, les yeux rivés raide sur l’écran, tout en grignotant ses croustilles. Vous voyez l’image, n’est-ce pas ?

Soudain, la fatalité : l’armée de blancs qui arrivent avec leurs fusils et qui massacrent littéralement tous les indiens du village, hommes femmes et enfants, comme dans tous les westerns de cette époque où, la rectitude politique, on ne savait pas ce que c’était.

Mais Janie dans le salon est totalement pétrifiée. « Oh No ! Oh my God ! They can’t do that ! ». Les yeux grand ouverts, la bouche en O, elle se cache même partiellement le visage pour ne pas tout voir de cette horreur. Exactement comme si la chose était un reportage plutôt qu’un film.

Et moi, le descendant de ces blancs monstrueux assassins, je suis assis là, à côté d’elle, la petite indienne fraîchement arrivée du Grand Nord, qui pleure à chaudes larmes devant cette injustice.

Lui dire : «Come on, Janie. It’s just a movie» ? Non. Me suis levé, lui ai doucement touché l’épaule et je suis allé faire autre chose ailleurs dans la maison.

9 commentaires:

  1. C'était effectivement bel et bien un reportage qu'elle fixait la jeune amérindienne....
    Et effectivement, que dire, quel réconfort apporter ? Et même si on ne se sent pas personnellement responsable... on se prend quand même la honte et la charge du passé.
    Attristant et déchirant.

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  2. Le cousin... pourquoi même quand tu écris plus sérieusement je me vois un sourire vaste écraser mon visage?

    Ce sont les mots et ta façon de les aligner sans doute qui nous donne une raison de jouir de notre belle langue...

    Merci Cousin.

    TaLou
    XXO

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  3. Quel beau texte CrocoMichel, et comme tu écris bien! Tes anecdotes vécues viennent du coeur, et ça se sent dans chacun de tes mots.

    Autant j'aime le délinquant chez-toi, autant j'aime la personne sensible qu'il est facile de deviner souvent, à travers tes écrits. Et il en est ainsi pour tous tes lecteurs j'imagine.

    En tout cas, si tu étais assez en forme pour aller dans ton antre préféré vendredi, c'est que ça va mieux. Mais bon, matante Lise a juste le goût de te dire de prendre soin de toi. Comme Do l'a déjà dit, tu n'as plus vingt ans Michel...

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  4. Je sais Croco. Et prends en soin de tes cinquante-six ans. On (je) tiens à te lire encore longtemps...

    :)

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  5. Mais 56 c'est pas 20 !!!!

    Tu vois bien que tu vieillis!!!

    J'aime ça te tirer la pipe!
    __________________________
    D'ailleurs, l'autre jour, lors de notre rencontre, je me suis opposée à ce qu'il traine ma valise que je devais trainer toute la journée.
    Pour lui faire comprendre que ça ne me dérangeais pas de le faire j'ai dit, NON! JE NE TE LAISSERAI PAS TRAINER MA VALISE, T'ES VIEUX TOI!!!!

    Sa réponse fût directe.
    Si tu veux que notre rencontre finisse avant même de commencer... (sous-entendant: criss moi la paix avec mon âge jeune baveuse )
    _________________________
    Je souris juste d'y penser.

    T,es peut être plus vieux physiquement que moi mais dans ton intérieur t'es crissement plus jeune. Et ça c'est un compliment!

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  6. Ce petit geste posé à l'endroit de la jeune fille crie me semble plein de tendresse aussi. Que pouvais-tu faire d'autre?

    Le sort des autochtones du Québec est bien différent s'ils sont cris, innus, hurons wendat, algonquins ou autres... J'ai des amis algonquins, ceux du « Peuple invisible » qu'on a pu voir sur grand écran dans le film de Desjardins/Monderie. Je suis souvent mal à l'aise de tout ce qu'on leur a fait, le pire étant de leur voler leur enfance, de les abuser, de les ignorer, les mépriser... Ce sont les gens les plus aimants que je connaisse.

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  7. Les bras m'en tombent ... de joie !

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  8. Mon dernier commentaire s'adressant évidemment à Do.

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