dimanche 6 juin 2010

Le 6 juin 1990 ...

... mon père Maurice quittait la terre pour un ailleurs meilleur ... comme ils disent. J'ai reçu ce texte ce matin, provenant de ma tite-soeur qui m'accompagnait auprès du paternel quand son âme l'a quitté. Les émotions sont ressorties et vous comprendrez pourquoi en lisant ce texte presque trop vrai. Ça va comme suit :


Pour ma part, je suis avec papa depuis hier.

Le fameux téléphone de l’hôpital me demandant si on veut le gaver, mes appels de panique à vous et à maman pour savoir ce qu’on fait... Et puis le déclic...

Je rappelle à l’hôpital pour qu’on m’explique que papa au fond, il est en train de mourir... Je suis partie de mon travail (ville Lasalle) comme une bombe en auto. En arrivant sur Décarie, c’est le bouchon solide. Me souvenant d’une tactique d’une de mes copines, j’enfile sur l’accotement en espérant me faire prendre par la police... Ce qui s’est inévitablement produit. Quand le policier atteint la hauteur de ma porte d’auto, je suis naturellement en larmes. J’essaie de lui expliquer, il a de la difficulté à me comprendre, mais il voit bien que je ne joue pas la comédie. Quand le second flic vient nous rejoindre pour voir si je fais du trouble, l’autre lui fait signe que c’est sérieux. Je me ressaisis et j’arrive à leur expliquer. Le deuxième policier me regarde dans les yeux et me dit : « Là, tu vas te coller à nous et nous suivre super collé. Tu te fous des autres véhicules, on va t’ouvrir le chemin. Es-tu capable de faire ça où tu veux qu’on t’amène nous-mêmes à l’hôpital? » Je leur dis que ça irait, mais de ne pas aller trop vite quand même.

Et la parade a commencé. Ils ont mis les cerises et la sirène dans le tapis. J’ai suivi comme ils me l’avaient demandé. Un automobiliste a tenté de se mettre entre eux et moi à un moment donné, croyant que je faisais ma smatte pour éviter le bouchon. Z’ Auriez dû voir le policier sortir son corps de l’auto pour dire au chauffard « Hey le cave, t’as pas compris? On t’a dit de te tasser et de laisser passer... » Le gars est rentré assez vite dans sa ligne...

Enfin au rond-point Décarie, ils se sont arrêtés en plein milieu et l’un d’eux est venu me voir. « Tu veux qu’on aille jusqu’à l’hôpital avec toi? » je lui ai dit merci, que j’avais peur d’avoir un accident à tenter de les suivre trop vite... Je les ai remerciés du fond du coeur, toujours en larmes, bien sûr. Il m’a souhaité bon courage. C’est là encore une fois que la réalité a refait surface... Mon père, daddy, est en train de mourir.

Il faut que vous sachiez que dans ma tête de petite fille et très longtemps dans mon adolescence, j’ai vécu avec la conviction que si papa mourait, je ne serais pas capable de survivre et que je mourrais aussi. Il était si vieux que j’étais certaine qu’il allait mourir, tout le temps. Je me réveillais parfois la nuit et si je ne l’entendais pas tousser (il fumait dans le temps) ou ronfler, je me levais et allais voir à la porte de sa chambre pour le voir bouger ou simplement respirer. Puis rassurée, je retournais me coucher.

Je suis finalement arrivée à l’hôpital. C’est la mère de mon ancien amoureux qui m’a accueilli. Elle travaillait aux soins palliatifs. Elle m’a confirmé que c’était sérieux, que la fin approchait et m’a rassurée qu’on avait pris la bonne décision selon elle de le laisser partir, sa vie était finie. Elle m’a accompagnée dans la chambre de papa. J’avais tellement peur qu’il meure devant moi. J’ai pris la main de Daddy. Je savais qu’il avait peur de St-Pierre en rentrant au paradis. Je l’ai rassuré. Je lui ai dit qu’il avait été un bon père, une si bonne personne et que St-Pierre serait heureux de l’accueillir, de ne pas avoir peur. La mère de mon chum m’a fait signe de regarder et elle a tourné l’autre côté du visage de papa vers moi. « Il t’entend » qu’elle me dit remplie d’émotions. Papa avait une larme qui coulait sur sa joue.

Ça c’était hier, le 5 juin. Vous comprendrez pourquoi papa était si fortement avec moi hier, ou plutôt que j’étais avec lui...

Maman est arrivée avec tante Liliane et toi, Mimi, je ne me rappelle pas si tu y étais cette journée... Ou seulement en soirée... Je me souviens par contre que tu y étais le lendemain. Je t’ai appelée au cours de la journée Line. C’était difficile de déterminer si c’était la fin dans 24 heures ou dans 1 semaine. Je me souviens qu’on hésitait, on ne savait pas. Puis en fin de journée, je savais, nous avons parlé et je t’ai dit de t’en venir... Tu te rappelles ce que tu m’as dit? « Dis à Woozie que je m’en viens. Dis-lui d’essayer de m’attendre, mais que s’il n’est pas capable, je vais comprendre. » Je ne sais plus si tu m’as dit ça la veille ou le 6 juin en matinée, avant de partir des îles. Mais je me souviens de lui avoir dit. Je lui ai dit le matin très tôt quand je suis arrivée à l’hôpital. Il m’a serré la main très fort quand je lui ai dit. Je n’en revenais pas qu’il soit encore si proche de nous, si vivant au fond... C’est comme si je l’avais libéré de lui avoir dit Line. Parce qu’ensuite, tout est allé passablement vite.

Michel et moi, on était près de lui. Michel lui lisait des passages de la bible, moi, je caressais la tête de papa doucement pour le rassurer. Maman et Liliane n’étaient pas encore là. Michel et moi sommes allés deux minutes dans la salle d’attente (fumer une cigarette?), puis on est revenu tout de suite. On a remarqué que papa n’allait pas bien. Je suis allée chercher un infirmier, j’avais peur de la violence de la mort. Je croyais que papa allait s’étouffer et courir après son souffle quelque chose du genre. L’infirmier a été très rassurant. Il nous a expliqué comment ça se passerait et il est resté avec nous. Je me rappelle être tout près de papa, de son côté droit et Michel un peu à l’écart. Je suis allée te prendre par la main, Michel et je t’ai amené près de papa pour que tu tiennes sa main gauche. Nous étions chacun de notre côté lui tenant la main et le rassurant quand il a pris ses deux dernières respirations. Puis, une fois qu’il n’a plus respiré, j’ai senti une vague d’énergie extraordinaire rentrer en moi de la main de papa... Je suis restée quelques secondes près de lui. Je me souviens Michel que tu t’étais un peu retiré, question d’absorber tout ça.

Puis, j’ai réalisé que je n’étais pas morte... Et que je ne mourrais pas. Je me souviens d’aller de Michel à papa et de dire à papa « Ça va aller papa, c’est correct, je ne vais pas mourir... ». J’étais redevenue la petite fille terrifiée... Puis libérée...

Dans les minutes qui ont suivi, maman et Liliane sont arrivées. Je suis allée embrasser papa encore une dernière fois et je lui ai dit qu’il fallait que je parte. Que je devais aller au devant de toi, Line! Je disais à papa que je ne pouvais pas te faire ça, te laisser arriver à l’hôpital sans savoir déjà, que tu avais besoin de temps entre l’aéroport et l’hôpital pour te faire à l’idée. Je voulais te donner le temps d’absorber la nouvelle. Je le sentais comme ça de toute façon. Je suis donc repartie de l’hôpital en troisième vitesse pour ne pas te manquer à l’aéroport. Papa était avec moi dans l’auto. J’ai même ri en me disant que je pourrais refaire le coup de la police, mais je me suis calmée. Je n’ai pas eu le choix, j’ai été prise derrière un cortège funèbre...

Le reste, tu connais l’histoire grande sœur. Dès que tu m’as vu dans l’aire des arrivées, tu as compris qu’il n’avait pas été capable de t’attendre. Tu m’as même dit l’avoir senti dans l’avion, en plein vol.

20 ans qu’il est parti, mon Daddy et aujourd’hui, ce matin, il me manque autant qu’il y a 20 ans... Mais ça va aller papa, c’est correct, je ne vais pas mourir...

Je vous aime. Bonne journée à vous deux!

Loulou
xxo

11 commentaires:

  1. Lu et partagé avec respect et grande émotion aussi.

    Peine et libération, peur et tout à coup certitude, tendresse infinie, souvenir imprégné de vie dans la mort, présence dans l'absence, dans le coeur à chaque moment depuis, force d'amour au-delà des frontières du temps et de l'espace...

    Je n'ai jamais pu écrire là-dessus. Quand ça fera 20 ans peut-être...

    À toute la famille Danis, à Loulou surtout, merci.

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  2. T'es tellement, tellement, tellement ... fine !

    Inspiré de tu-sais-qui ...

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  3. que d'émotions, de véritée et d'affection,
    vous m'avez fait pleurer mes ta.....boires.

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  4. Oh lalalala... Ouf. J'ai encore les yeux pleins d'eau salée.

    Quelle parole criante de vie que celle-là. La vraie vie; comme elle vient, comme elle se vit et comme elle s'en retourne.

    J'ai lu avec beaucoup d'humanité et je ressens un p'tit brin de tout ça. Ça m'a un peu rebrassé le décès de ma mère, il y a quatre ans. J'avais des rapports cahotiques avec elle et nous sommes encore en discussion pour tout régler, mais bon; c'est mon affaire.

    Merci Croco d'avoir patagé ce mot d'une intense intimité mais tellement important. Merci à ta soeur d'avoir su le dire ainsi.

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  6. Il n'y a pas assez de mots pour exprimer toute la gamme d'énotions ce que j'ai ressentie en lisant le texte de Louise...

    Pas assez de mots pour dire que je comprends tellement, mais tellement bien, sans pour autant vous dire comment...

    Un gros cri d'un coeur de petite fille que je lis dans ce billet, Talou... Un coeur qui sera toujours celui de la petite fille de son papa.


    À l'inverse de notre bien-aimée Zoreilles, j'ai, tout comme ta soeur, écrit là-dessus, parce j'ai entendu mon papa me demander de le faire 15 ans après son départ le 25juillet 2008, et j'attends toujours que maman me le demande, car elle est allée le rejoindre il y a déjà presque un an, le 15 juin dernier. Mais, j'ai tellement peur... J'espère qu'elle attendra un peu avant de me demander de laisser couler ses mots sur ma page...

    Merci à la famille Danis pour ce partage et à Louise, merci d'avoir trouvé les mots et surtout, d'avoir trempé ta plume dans l'encre des souvenirs qu'abrite ton coeur...

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  7. Croco,

    ce billet m'a émue au delà des mots. Mon père est décédé il y a un peu plus d'un an; nous n'avons jamais été proches lui et moi, presque comme des étrangers en fait, incapables de communiquer.

    Ça m'a manqué énormément durant mon enfance, un père affectueux qui nous serrait dans ses bras pour nous dire qu'il nous aimait. Il en était incapable. Ce n'est que maintenant que je réalise vraiment que je ne le verrai plus jamais. Je m'ennuie de lui infiniment...

    Il aura fallu plus d'un an à la sans-coeur que je suis pour pleurer son absence.

    Merci d'avoir partagé avec nous.

    @Talou

    Quelle belle plume tu as!

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  8. Y’a que d’l'amour là !
    Comme ce texte magnifique est réconfortant en dépit et par delà les deuils dont on sait bien qu'on ne guérit jamais... sauf à apprivoiser notre propre départ, puisque c'est ainsi qu'il en est.

    Il y a tout dans l'amour.

    C'était le credo de ma si tant aimée maman décédée en 1989, qui en dispensait tant et tant qu’encore à cette heure ci il est encore tout chaud dans mon cœur.
    Elle vivait silencieusement sa foi de croyante et affectionnait particulièrement cette lettre de St Paul aux Corinthiens :

    « J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel,
    « Si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour,
    « je ne suis qu'un cuivre qui résonne,
    « une cymbale retentissante .
    « J'aurais beau être prophète,
    « avoir toute la science des mystères,
    « et toute la connaissance de Dieu,
    « et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes,
    « s'il me manque l'amour,
    « je ne suis rien.
    « J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
    « j'aurais beau me faire brûler vif,
    « s'il me manque l'amour,
    « cela ne me sert à rien.
    « l'amour prend patience,
    « l'amour rend service,
    « l'amour ne jalouse pas,
    « il ne se vante pas,
    « ne se gonfle pas d'orgueil,
    « il ne fait rien de malhonnête,
    « il ne cherche pas son intérêt,
    « il ne s'emporte pas,
    « il n'entretient pas de rancune,
    « il ne se réjouit pas de ce qui est mal
    « mais il trouve la joie dans ce qui est vrai,
    « il supporte tout,
    « il fait confiance en tout,
    « il espère tout, il endure tout
    « l'amour ne passera jamais.

    Moi qui ne crois ni aux dieux des religions ni aux promesses de paradis et d’enfer, je me convaincs que tous les êtres qui s'aiment se retrouveront d'une façon ou d'une autre, sinon à quoi rimerait cette condition humaine.

    En avril j'ai perdu un de mes frères, foudroyé en moins de deux mois par cette saloperie de crabe que rien ne laissait présager ; les dernier mots que je lui ai dit au téléphone alors que je pensais le revoir très vite sont « je t’aime frangin ». Je ne lui avais jamais dit comme ça, je n’entendrai plus sa voix, son rire, ses boutades.

    Allez, aimons ! La plus grande souffrance de nombre des gens est bien de ne pas avoir été aimé.

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  9. Wow! Quels beaux témoignages on retrouve ici...

    C'est là qu'on comprend qu'on reçoit toujours plus que ce que l'on donne. Je l'ai toujours su. Et j'en vis la preuve encore aujourd'hui.

    Quand mon grand frère m'a demandé si je voulais bien qu'il publie mon courriel de dimanche matin, je n'ai pas hésité une seconde. Je voulais donner la tribune à ce père extraordinaire qui fût le nôtre. Il était loin d'être parfait et c'est parfait ainsi...

    C'est important de partager son intimité quand c'est possible... ça ouvre la porte à de merveilleux souvenirs/témoignages...

    Merci à chacun de vous pour le partage et... l'amour!

    TaLou
    xxo

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  10. juste un mot ma lou WOW juste WOW

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