jeudi 13 novembre 2008

Premières minutes d'un premier job

L’Annonciation dans les Laurentides, été 1969. J’ai décroché un poste de préposé aux patients à l’Hôpital psychiatrique de l’endroit. Aux interrogations normales et à la nervosité que suscite un premier emploi, me fallait ajouter le mystère, voire la crainte entourant l’univers de la folie. Dans le vocabulaire de l’époque, cet endroit s’appelait tout simplement l'asile.
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Nous avions certes reçu une courte formation d’environ une heure sur ce qu’est la maladie mentale et les types de patients soignés par l’Hôpital. Pour le reste, c’était l’abstraction totale et j’appréhendais, comme tous mes collègues étudiants, la rencontre avec mon premier fou.
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Première journée ! Je suis assigné au Troisième-Sud, l’étage des oligophrènes (des adultes avec 7 ans maximum d’âge mental). J’enfile mon sarrau blanc de préposé et me dirige vers LA porte qui me mènera au monde de la folie. Avant d’ouvrir, je jette un coup d’œil par le judas pour observer la salle. Tout est calme. Une trentaine de monsieurs sagement assis sur leur chaise autour de la salle. Allez Michel, ça ne sera pas si pire !
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J’ouvre donc cette porte et la referme illico derrière moi (c’est la consigne en psychiatrie). Ce fut leur signal. Ils se sont tous immédiatement rués sur moi ! Ils arrivaient des quatre coins de la pièce et m’ont isolé devant cette porte. Leurs visages interrogatifs, curieux, inquiets ou souriants, et leurs mains ! Leurs mains me palpant les bras, les cheveux, le sarrau, alouette !
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J’étais sidéré. Entouré de cette gang de « vrais » malades qui me posaient moultes questions (As-tu un bicycle ? Yé où ton char ? As-tu une soeur ? Restes-tu icitte longtemps ?), je n’en menais pas large. Et le plus grand d’entre eux (un longiline six pieds six pouces) qui sautillait sur place en mordant dans ses mitaines de contention tout en poussant des hurlements jouissifs ! Je vous le répète, j’étais terrifié en essayant de me dégager de cet essaim d'adultes exubérants du mieux que je pouvais, lorsque j’ai enfin compris . . .

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Brièvement, j‘ai aperçu deux préposés RÉGULIERS au fond de la salle et ces deux salopards étaient pliés en deux, morts de rire devant ma frayeur. Je n’ai jamais su quelle facétie ils avaient pu compter à ces cinglés pour les inciter à accueillir le NOUVEAU de la sorte, mais je vous jure qu’ils n‘ont pas raté mon initiation. Les semaines qui ont suivi m'ont permis d'apprécier l'expérience de cotoyer ces adultes-enfants et même de m'y attacher sérieusement. Mais ce premier contact, ouf !
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Comme entrée sur le marché du travail, vous admettrez qu’on ne m’a pas épargné. Malgré tout, ce souvenir vaut son pesant d’or et mes palpitations d’alors valaient bien cette brève confidence .

7 commentaires:

Drew a dit…

À l'école, je travaille avec un bon nombre d'oligophrènes. Ils sont en insertion sociale et au travail via un centre qui s'appelle Gabrielle-Major.

C'est vraiment un privilège que de les côtoyer et qui plus est, grandement enrichissant. Pour moi comme pour eux.

crocomickey a dit…

Moi aussi j'avais un respect certain pour ces adultes-enfants. Souvenirs de ... gentillesse.

Drew a dit…

Comme si t'avais oublié c'est quoi la gentillesse *-)

Doparano a dit…

Oh que j'aurais été paniquée!

Zoreilles a dit…

Ce qu'on ne connaît pas nous fait peur... Mais quand on apprivoise la situation comme les personnes, on en retire de grands enseignements.

C'était touchant, Croco, de t'entendre raconter ça. D'habitude, tu me fais rire, mais aujourd'hui, tu as su m'émouvoir...

crocomickey a dit…

Et j'en suis bien fier ma chère ...

Anonyme a dit…

C'est vrai que c'est un texte émouvant. Croco a décidément mille facettes !

Lise